Une question à propos de la nomenclature

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Jps

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Message par Jps »
Bonjour,

Comme beaucoup l'ont déjà fait, j'ai acheté à mon tour le livre de Guillaume Eyssartier et Pierre Roux.
Félicitations aux auteurs. C'est un très bel ouvrage.

J'ai remarqué pas mal de changements dans la nomenclature, que ce soit au niveau des noms de genre (Mitrophora semilibera qui devient une Morchella) que des noms d'espèce (le cas marquant de Leccinum aurantiacum qui devient Leccinum albostipitatum pendant que Leccinum quercinum devient Leccinum aurantiacum)

J'ai une question : pourquoi le gyromitre garde envers et contre tout son appellation "esculenta" alors qu'on sait depuis belle lurette que c'est un champignon mortel ?

Jean-Pierre.

verarl

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Message par verarl »
Je peux te répondre en gros (car pour les détails c'est vraiment trop compliqué pour moi et je pense que Guillaume, Albert ou JJ et sans doute d'autres seraient plus en mesure de le faire). la mycologie est une science qui, comme les autres, a des règles strictes qui n'ont rien à voir avec la cuisine. En gros, le nom légitime est le premier nom valide qui a été donné à un champignon par un mycologue. Donc, si esculenta ne change pas, c'est tout simplement parce que c'est interdit par la règle. Alors pourquoi des noms changent ?
Il peut y avoir plusieurs raisons, la plus simple et la plus compréhensible, 'est quand un mycologue peut prouvé l'existence d'un nom plus ancien qui a donc priorité sur celui qui avait été retenu, ou qu'il peut prouvé que l'espèce qui a donné le nom en vigueur, n'a rien à voir avec ce champignon, mais déjà là ,ça devient très compliqué.

Guillaume Eyssartier

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Message par Guillaume Eyssartier »
Bonjour Jean-Pierre,

Verarl a déjà donné de bonnes indications.

D'abord une réflexion d'ordre général : que ce soit en nomenclature des organismes vivants ou dans le vocabulaire que nous utilisons tous les jours, on ne rappellera jamais assez que c'est une erreur de déduire le sens des mots de leur étymologie. Un mot est une "valise" (signifiant) auquel s'attache une définition (signifié), celle-ci étant indépendante de la forme et de la composition de ce mot : la relation entre le mot et sa définition (entre le signifiant et le signifié) est donc arbitraire, fixé par l'usage et l'évolution des connaissances. Ainsi, de la même façon que tu n'as sans doute que rarement du pain dans ton panier, et que je doute que tu aies de la bure dans ton bureau, il n'est pas illogique que Gyromitra esculenta soit comestible (ce qu'il est, d'ailleurs, sous certaines conditions : il est encore bien souvent consommé). De la même façon, je n'ai jamais vu de Russule charbonnière "bleue et jaune" alors que c'est bien ce que signifie son nom latin (Russula cyanoxantha). Si certains mots sont dits par les linguistes "motivés" (comme vacher, par exemple, qui est bien un gardien de vaches), ils sont majortairement "immotivés" pour différentes raisons qui ont trait à l'évolution de notre langue (je peux citer sans chercher citer hystérie, bureau, arriver, morceau, cadeau, paillasson, oxygène, marmelade, morceau, ou encore... tabagie, qui ne vient pas du tout de "tabac" comme on le croit habituellement, mais d'un mot algonquin signifiant "festin, agape", et qui a pris la définition qu'on lui connaît par un phénomène linguistique nommé attraction paronymique).

En conclusion, même si l'on peut regretter, pour des raisons pédagogiques, que certains noms scientifiques soient sans rapport les caractères des taxons qu'ils définissent, il ne faut pas s'en étonner.

Pour prendre les exemples que tu donnes :

- Mitrophora semilibera :
en réalité, le premier nom de ce champignon (1805) est bien Morchella semilibera ; il n'a pris le nom de Mitrophora que 40 ans plus tard, lorsqu'un mycologue a estimé qu'il était suffisamment différent des morilles pour porter un autre nom de genre : il semble aujourd'hui que ce mycologue s'est trompé, et que les caractères différentiels mis en évidence ne sont pas pertinents ;
- Leccinum aurantiacum : il me semble que nous avons déjà discuté de ce changement de nom ici même, mais je ne retrouve pas le fil de messages (?) ; dans ce cas, il s'agit d'une erreur d'interprétation évidente : L. aurantiacum a été originellement décrit avec des mèches rousses sur le pied même chez les jeunes exemplaires, caractère durant des décennies attribué à L. quercinum.

Donc, on peut dire que les noms changent pour deux raisons principales :
- pour des raisons nomenclaturales ("légales") : le nom traditionnellement utilisé n'est, en fonction de recherches bibliographiques récentes, pas le bon ; ces changements sont liés à l'interprétation du Code de nomenclature botanique ;
- pour des raisons scientifiques : l'évolution des connaissances modifie notre vision de la classification, et les changements de noms retracent ces progrès.

Je reste à ta disposition si tu as besoin de compléments !

Bien amicalement, Guillaume.
Biologie fongique - Expertises (Dr. Guillaume Eyssartier)

verarl

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Nom : Christian Frund

Message par verarl »
Pour le fun...
Que dire du nom commun renard qui vient d'un nom propre Renart. C'est comme si on appelait les hommes des duponts. Au Moyen-Âge, on disait goupil. Et le plus délicieux, le mot conin (lapin) qui a donné les mot : "con" et "conard". :lol: . On peut même supposé que l'actvité frénérique des ces petites bêtes a suggéré un mot assez trivial pour sésigner le sexe féminin mais je n'en suis pas sûr :clindoeil: .

Linda

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Message par Linda »
- Leccinum aurantiacum : il me semble que nous avons déjà discuté de ce changement de nom ici même, mais je ne retrouve pas le fil de messages (?) ; dans ce cas, il s'agit d'une erreur d'interprétation évidente : L. aurantiacum a été originellement décrit avec des mèches rousses sur le pied même chez les jeunes exemplaires, caractère durant des décennies attribué à L. quercinum.
ici : http://forums.champis.net/viewtopic.php ... s&start=15
ce fut très interessant d'ailleurs :) tout comme le sujet présent

L

Jps

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Message par Jps »
Bonsoir à tous,

J'ai lu vos réponses avec attention.

Un grand merci à Guillaume d'avoir consacré autant de temps à nous expliquer les raisons qui poussent les mycologues à effectuer de temps en temps des changements d'appellation.

Ton argumentation est particulièrement didactique et ta maîtrise de l'étymologie des mots semble aussi vaste que tes connaissances dans le monde des champignons.

Merci aussi à Verarl d'avoir prêté attention à mon message et d'y avoir répondu, et aussi à Lyn qui semble avoir mémorisé le contenu du forum depuis sa genèse.

Jean-Pierre.

chondrina

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Message par chondrina »
Bonjour à tous

juste un mot pour ajouter qu'un changement dans la nomenclature spécifique demande un gros travail : présenter un dossier pour attester de l'antériorité d'un nom qui sera jugé en commission internationale est une procédure administrative lourde.

De plus, qualifier un champignon toxique d'esculenta n'est pas un argument qui puisse être retenu par la nomenclature internationale, aussi justifié soit-il, seule la preuve d'une description antérieure peut permettre de changer cela.

Il existe des précédents qui permettent de conserver un nom spécifique consacré par l'usage, même s'il existe une antériorité descriptive attestée.

Par contre, les changements de famille ou de genre relèvent juste des travaux de systématiciens qui peuvent ne pas être d'accord entre eux. Donc la classification présentée dans un ouvrage dépend des choix faits par l'auteur de suivre tel ou tel systématicien.

Enfin, il ne faut pas oublier que nous suivons une classification linéenne fixiste qui ne reflète pas trop bien la souplesse adaptative du vivant, les problèmes sont les mêmes que l'on soit botaniste, zoologue ou mycologue, lorsque l'on est confronté à des groupes espèce, des variétés ou des sous-variétés...

Et que dire quand les généticiens d'en mêlent..., eux qui parviennent à créer des distinctions enzymatiques absolument invisibles de l'extérieur...

J'arrête avant d'avoir mal à la tête !
Merci à tous pour ce super forum naturaliste !
Devise des arbres : «Je pousse pour vous !»
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