Y.Courtieu a écrit :NSchwab a écrit :Un clade, c'est un groupe de taxons qui doivent tous obligatoirement contenir un ancêtre commun et toutes les espèces dans le clade doivent descendre de cet ancêtre.
Une question m'intéresse vivement. Elle est rarement posée, semble-t-il.
Qu'est-ce qui, quand on fait de la biologie moléculaire, permettrait d'affirmer que deux êtres vivants ont un ancêtre commun ?
Je mets au conditionnel parce que je suis dubitatif. Pourquoi ?
a) Parce que ces définitions m'apparaissent très mathématiques... trop, pour tout dire...
Les mathématiques n'ont rien à voir avec ce qui est vivant (tout au moins quand on en reste à la théorie et non aux applications).
b) La preuve d'un ancêtre commun relève tout autant des similitudes constatées sur le plan de l'ADN que celles sur le plan fonctionnel:
exemple : les vertébrés ont une partie commune dans leur ADN
Mais ils ont aussi tous un squelette, des vertèbres. Pourquoi faire semblant de l'oublier ?
Je vais essayer de répondre à tes interrogations avec le plus de précision possible, même si dans la réalité c'est un beaucoup plus complexe.
Tous les êtres vivants ont au moins une partie d'ADN en commun, car ils descendent du LUCA (
last
universal
common
ancester). Mais si actuellement nous faisons pas que de l'étude morphologique, c'est à cause de son imprécision sur un point : les convergences évolutives. L'exemple le plus cité est celui des oiseaux, des chauves-souris et des papillons. Ils ont tous des ailes, mais pourtant ne sont pas "apparentés" ou du moins moins pas dans un voisinage immédiat. Si on créait un groupe "animaux ailés", il serait polyphylétique. C'est à dire que dans le groupe, leur ancêtre commun le plus récent n'est pas inclus dans le groupe. Cela pose un problème car il y a donc un vide, d'une taille indéfinie dans l'histoire évolutive de ces animaux. Pour nos hygrophores, leurs lames grasses et espacées, leur chapeau plus ou moins visqueux et leurs spores similaires peuvent être dus à deux facteurs. Soit ils l'ont hérité de leur ancêtre commun ou l'ont acquis suite à une évolution similaire. Exposé à des conditions semblables, l'évolution peut être semblable suite aux adaptations écologiques. Et comme ceux-ci poussent également dans les prairies maigres, nous pouvons imaginer qu'ils ont été exposé à des situations identiques.
De plus, une "espèce" n'est pas fixe. En police scientifique, ce n'est pas pour rien que l'on arrive à identifier les individus grâce à leur ADN. Tous les humains ont des parties d'ADN en commun. Mais ce n'est pas toujours les mêmes, mais il existe des parties presque immuables au sein d'une espèce. L'objectif du barcoding mycologique est de réunir une partie d'ADN qui diverge facilement chez les espèces et de réunir une grande quantité de collections afin de statistiquement voir lesquelles se ressemble le plus. Comme il s'agit de statistique, plus le nombre de séquences comparées est grand, plus précis en sera le résultat.
Il me semble que beaucoup de mycologues confondent le terme d'espèce et de phénotype. Il faut faire attention, par contre au fait que ces termes sont souvent mal utilisés. Je vais les définir comme ils le sont en mycologie :
Une nothoespèce (insertion du caractère '×' devant l'épithète) représente une espèce d'origine hybride. C'est rare en mycologie, mais on le retrouve notamment chez le genre
Phytophthora. Exemple :
Phytophthora ×alni.
Une sous-espèce (subsp.) représente une population infraspécifique monophylétique de manière géographique ou écologique. Exemple :
Amanita muscaria subsp. europaea.
Une variété (var.) représente une population infraspécifique monophylétique présentant un caractère commun. Exemple :
Amanita muscaria var. inzengae.
Une forme (f.) représente une population infraspécifique polyphylétique présentant un caractère commun. Exemple :
Amanita muscaria f. puella.
Tous les taxons cités précédemment ont une chose en commun : ils peuvent se reproduire ensemble. A l'exception de la nothoespèce qui peut parfois être stérile, mais ses hyphes ne "repoussent" pas ceux de ses espèces d'origines. Nous allons exclure le cas des nothoespèces pour nous simplifier la tâche par la suite.
Si l'on prend la hiérarchie des taxons infragénériques cela nous donnerait cela :
espèce (species) ; officiellement reconnu par l'IAPT
sous-espèce (subspecies) ; officiellement reconnu par l'IAPT
variété (varietas) ; reconnu à titre indicatif par l'IAPT
sous-variété (subvarietas) ; reconnu à titre indicatif par l'IAPT
forme (forma) ; reconnu à titre indicatif par l'IAPT
sous-forme (subforma) ; reconnu à titre indicatif par l'IAPT
Donc si nous reprenons ce qui a été dit auparavant, un phénotype peut se cacher partout dans les rangs infraspécifiques. C'est donc pour cela que certaines espèces ne sont plus reconnues, elles font partie de la variabilité de l'espèce. Comme
Leccinum nucatum qui n'est qu'un
Leccinum holopus au chapeau brun noisette. Cela est équivalent à la couleur de peau chez
Homo sapiens, mais pourtant les personnes à la couleur "blanche", "noire" ou "jaune" font partie de la même espèce car ils peuvent tous avoir une descendance viable par reproduction sexuée et naturelle. Et voici un autre problème qui pointe le bout de son nez... Comment définir le terme "naturel" ? Nous dirons ici que la reproduction se fera sans intervention externe, car les greffes et les clones ne peuvent pas créer de nouvelles espèces. Par clones, nous entendons les copies conformes à l'ADN originaires du parent, sans modification ni mutation.
Maintenant, nous allons discuter du processus de création des espèces : la spéciation. Une espèce se crée à partir du moment où l'ADN d'une population n'est plus compatible avec celle de son espèce d'origine. L'espèce va alors progresser dans une évolution parallèle (ou disparaître) et peut-être en créer de nouvelles à son tour et ainsi de suite.
Comment se peut-il qu'une espèce ne soit compatible avec une autre ? On peut faire l'analogie avec une clé de serrure. Si on la modifie un peu en la limant ou en y ajoutant de la pâte à modeler, si on lime un peu trop ou que l'on ajoute trop de pâte, elle n'ouvre plus la serrure. Et ces ajouts et suppressions, ce sont les mutations. Reprenons l'amanite tue-mouche. Si les gènes servant à "mouler" le métabolisme créant les pigments oranges disparaissent, cela ne va pas empêcher le champignon de survivre et de créer une descendance viable. Ainsi, la descendance de celle-ci va conserver ou non ce gène (en fonction de sa dominance, on dit récessif pour le plus faible et dominant pour le plus fort). Mais cela n'exclut pas sa transmission. Ainsi, il y a toujours une chance de transmettre ce gène à sa descendance et qui pour finir peut se retrouver avec la même caractéristique plusieurs générations après. Nous avons aussi vu que les sous-espèces sont souvent affiliés à une zone géographique, tout cela est également de la statistique, comme pour la transmission des gènes. Dans une zone géographique restreinte, les mêmes mutations ont plus de chance de se retrouver et de refaire émerger un caractère. Il faut noter que caractère n'est pas synonyme de critère de détermination.
Ainsi avec la phylogénie moléculaire, on recrée ce processus de manière informatique en y introduisant des modifications aléatoirement afin de voir si l'espèce est viable en tentant plein de combinaisons. Voici pourquoi on utilise autant de mathématiques dans ce domaine "organique".
J'espère ne pas avoir pas trop fait d'erreurs (n'hésitez pas à me corriger et à me poser des questions) et merci d'avoir lu ce très long message.
Edit :
Un caractère qui pourrait paraître aussi évident que le type d'hyménium peut nous conduire à des mauvais genres. Citons quelques exemples :
Hygrocybe aphylla, qui est un hygrocybe sans lames (
image).
Des champignons normalement lamellés qui ont un hyménium porioïde, ici
Stropharia coronilla (
image).
Mycena indigotica, une mycène bleue à l'hyménium poré (
image).
Russula ammophila, une russule en phase de transition vers les truffes (
image).