28 juin 2020, 20:58Jplm a écrit :
On n'arrive pas à reconnaître un cèpe !
La mycologie du XXIème siècle commence parfois à m'insupporter. On en parlait hier à la SMF : il faut se presser de séquencer toutes nos vieilles espèces parce que, dans quelques décennies, plus personne ne saura les reconnaître sur le terrain. Je ne parle pas pour toi, Nicolas, tu sais encore regarder, mais on y va tout droit.
Jplm
Ici, ce n'est pas forcément un problème de séquençage. Comme bien souvent, c'est difficile de délimiter un espèce très variable. Parfois, c'est bien une espèce très variable. Ce serait le cas avec
Boletus edulis. D'autres fois, ce sera plusieurs espèces que l'on a regroupé sous un même nom. Comme
Amanita vaginata, par exemple. Le séquençage permet de connaître ces limites plus facilement. On compare donc la morphologie avec la génétique de l'espèce.
Boletus edulis n'est pas forcément vu comme une espèce très variable. Certains préfèrent le voir comme une série d'espèces très proches, mais néanmoins différentes. C'est d'ailleurs la question que ce sont posés Korhonen et al., tout ça sans conclure
1
En 2010, une nouvelle étude majeure a été publiée
2. Ils sembleraient y privilégier l'hypothèse d'une espèce très variable au niveau morphologique, mais peu au niveau génétique.
Pour
Boletus edulis, on sait qu'il fréquente beaucoup d'essences différentes. Ce qu'a permis la génétique, c'est de remarquer qu'il y a des morphotypes (à comprendre comme des formes auxquelles on n'a pas donné de nom binomial) qui ont des préférences par rapport à leur écologie. Il s'avère qu'il y a une forme qui fréquente les
Pinus et qui ressemble très fortement à
Boletus pinophilus. Il y a bien sûr des différences notables (citées plus tôt). Mais cela veut donc dire qu'il est fort à parier que certaines identifications de
Boletus pinophilus étaient en réalité cette forme des pinèdes.
Je vais quand même faire une remarque sur la reconnaissance des espèces. Il y a deux facteurs importants à prendre en compte. Le premier est que pour bien des espèces, on ne retrouve pas l'holotype ou on ne peut pas l'examiner par des moyens morphologiques (après plusieurs décennies, c'est fréquent que ça arrive). Il faut donc que l'on séquence le type afin d'avoir la référence et retrouver cette espèce pour définir un autre type.
C'est comme l'histoire du mètre pour ceux qui la connaissent. A l'époque, le mètre était défini par un mètre-étalon originel. Des copies ont été réalisées puis distribuées à certains pays. Mais que peut on faire si le mètre-étalon est perdu ? Logiquement, ce qui s'en rapproche le plus est une de ses copies. Mais si aucune copie n'a été réalisée, il faut le redéfinir à partir de zéro.
C'est pour ça qu'il y a une course au séquençage. Outre d'autres utilités, la séquence permettra de retrouver une copie très proche sans avoir le type s'il est perdu.
La deuxième raison, c'est que la génétique est très différente de la taxinomie basée sur la morphologie. Ce sont deux spécialités différentes et il est très difficile d'être expert dans les deux. Actuellement, les études sont réalisées bien souvent en collaboration. Un généticien n'a pas à connaître comment délimiter morphologiquement une espèce d'une autre et un mycologue n'a pas à savoir ce qui le caractérise au niveau génétique. Mais en combinant les deux, on peut s'attendre à avoir de très bon résultats sur les deux plans.
C'est bien sûr très résumé et on pourrait en écrire des pages. A mon avis, c'est la vulgarisation qui manque cruellement, bien que de nombreux auteurs font un travail impeccable. C'est une science qui bouge très vite et en vulgarisation c'est très difficile de traduire l'incertitude qui fait foi en science.
1 Korhonen M., Liimatinen K. & Niskanen T. 2009. A new boletoid fungus, Boletus pinetorum, in the Boletus section Boletus from Fennoscandia (Basidiomycota, Boletales). Karstenia 49: 41-60. DOI:
10.29203/ka.2009.433
2 Dentinger B.T.M., Ammirati J.F., Both E.E., Desjardin D.E., Halling R.E., Henkel T.W., Moreau P.A., Nagasawa E., Soytong K., Taylor A.F., Watling R., Moncalvo J.M. & McLaughlin D.J. 2010. Molecular phylogenetics of porcini mushrooms (Boletus section Boletus).
Molecular Phylogenetics and Evolution 57: 1276-1292.